Depuis le début des événements tragiques qui ont débuté à Charlie Hebdo, vous avez été nombreux à nous envoyer spontanément vos témoignages, à l’écrit comme en dessins.

Marion Dionnet le 8 janvier à 7h52 “Dessin de soutien à Charlie” (Crédits image : Marion Dionnet)
Konbini a décidé de publier votre soutien à la liberté d’expression et à la liberté de la presse, des valeurs qui appartiennent non pas uniquement aux journalistes, ni aux caricaturistes, mais bien à chacun des citoyens de la République. Vous êtes formidables.
- Walid Bkti, le 8 janvier à 16h12
Lorsque j’étais enfant, ma mère me parlait de l’islam sur le trajet de l’école. C’était le moment qu’elle avait choisi pour m’expliquer ma culture, mes origines, mon identité. C’était juste avant de franchir les portes de l’école de la République. Elle me parlait de son équilibre par l’islam.
Elle me parlait de bienveillance, de tolérance, de la foi, de la force du pardon. Elle me disait de ne pas me cacher, de ne pas avoir peur d’être musulman, d’être humain, mais surtout de ne pas craindre de m’opposer à l’injustice. Alors j’entrais à l’école, pénétré par la puissance de ces idées.
Aujourd’hui ma mère ne me conduit plus à l’école, mais je continue de penser à ses paroles. Il s’est produit quelque chose de terrible ces derniers jours, quelque chose qui nous a tous profondément atteints, par l’horreur du geste, par sa folie. Il est difficile de poser des mots sur tout cela, il est difficile de ne pas parler sous la colère, sous la peur, peut-être même la haine.
Lorsque tu es jeune et de culture musulmane en France, tu es tantôt l’avatar d’une France qui se cherche, tantôt le visage de la terreur, parfois celui de l’exotisme – trop rarement tu es la voix de la République. Peut-être attendez-vous que je me désolidarise ? Ce laïus classique qui consiste à affirmer que cela n’est pas l’islam, que ce ne sont pas des musulmans. Je crois que pour une personne sensée, cela ne fait aucun doute.

Patrick Royer le 8 janvier à 12h56 “Un petit dessin…” (Crédits image : Patrick Royer)
Les États-Unis post-11 septembre nous ont désigné le chemin qu’il ne fallait pas suivre : celui de la “guerre contre la terreur”, de “l’axe du mal”… George W. Bush a choisi d’essentialiser ces menaces, avec le succès qu’on lui connaît, méfions-nous des réactions dictées par les “affects tristes”. S’il nous paraît souvent impossible d’expliquer la barbarie, cela est pourtant absolument nécessaire. Il nous faudra expliquer factuellement d’une part, et politiquement d’autre part.
Je redoute “l’ère du soupçon”, car je crains qu’elle n’éloigne encore un peu plus les français les uns des autres.
Enfin, il nous faudra tenter de comprendre. Hanna Arendt écrivait dans Le Système Totalitaire : “C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal”. Quel est ce vide immense qui prend le nom “d’islam” ? Et les coupables me direz-vous ? Cette question en pose une autre en filigrane : qui est l’ennemi ? Les arabes ? Les musulmans ? Al-Qaeda ?
Je redoute l’ouverture d’une chasse à l’homme, où chaque musulman serait sommé de clamer sa loyauté à la République. Je redoute “l’ère du soupçon”, car je crains qu’elle n’éloigne encore un peu plus les Français les uns des autres. [...] Charlie Hebdo m’a souvent fait rire, parfois indigné, mais c’était le journal de l’audace, celui de la défense des causes perdues, celui de la défense des faibles contre les forts.

Soraya Vaccaro le 9 janvier à 20h44
Charb, Wolinski, Cabu, Tignous, Honoré, et les policiers qui les défendaient étaient des exemples d’audace. Rendons leur honneur en ne nous cachant pas derrière la peur, en cherchant en chacun, barbu ou non, “visage pâle” ou non, gaulois ou non, un rempart aux fondamentalismes, un défenseur de la liberté.
- Léa Kopczka, le 8 janvier à 17h01, en réaction à l’article “Je suis Français de culture musulmane et je suis triste et apeuré“
Je suis profondément touchée par ce que tu as écris. Je voulais juste te faire savoir que tu n’es pas seul. Je te soutiens. Je suis ni de culture musulmane ni arabe mais comme toi j’ai peur et je suis triste.
Mais je crois en l’humanité et j’ose espérer qu’il y aura plus de personnes assez intelligentes pour ne pas tout mélanger que d’ignorants apeurés par l’inconnu.
Merci d’avoir écrit ces mots.
- Khamsa Amc, le 8 janvier à 17h48
Je suis Khamsa. Je suis Française. Je suis de confession musulmane. Et j’ai peur. Nous sommes au lendemain des assassinats perpétrés chez Charlie Hebdo, et la communauté musulmane de France, pacifique et républicaine, triste de ces événements, est la cible de représailles de la parts de fascistes qui confondent musulmans et islamistes. Des mosquées ont été brûlées, une femme voilée insultée, et de nouvelles violences perpétrées…
J’ai peur que ma France devienne le terrain d’affrontements, de représailles absurdes, et d’accroissement de la haine. J’ai peur que l’islamophobie ne s’exacerbe au point de pousser des teints basanés a faire profil bas. J’ai peur que mes lendemains soient difficiles dans cette société qui ne verra plus en moi qu’une couleur, une fille d’ailleurs ou une enfant d’immigrés. J’ai peur que ma mère, citoyenne voilée, soit sommée de “rentrer dans son pays”.
J’ai peur que mes amis à la barbe aussi longue que celle de l’Abbé Pierre, qui payent leurs impôts comme Jacques, ou respectent les lois comme Fernand, ne soient apparentés à des terroristes. J’ai peur que rien ne puisse calmer les colères des fascistes, des racistes, des doctrinaires rigides et des extrémistes de tous bords. Je ne porte pas le voile mais n’ai pas la peau aussi blanche que Valérie…

Florent Aumoitte le 8 janvier à 18h03 : “Bonsoir, j’aimerais contribuer à l’hommage créé pour les victimes de Charlie Hebdo avec ce dessin, je ne sais pas à qui ni où l’envoyer, je le fais donc ici…” (Crédits image : Florent Aumoitte)
Mais aujourd’hui, penser à sortir faire mes courses dans les rues parisiennes, demander une aide sociale ou postuler pour un emploi me gèle les membres. Dois-je me teindre en blonde ? Devrais-je changer de nom et prénom ? Me sera t-il demandé plus de justificatifs lors d’un entretien professionnel ? Serais-je regardée plus durement dans le métro ?
Je suis Khamsa, effrayée par des lendemains noirs. Mais je suis aussi Charlie tombé sous les balles à cause de mes coups de crayons.
Non. Je me battrais pour mes idéaux et mes valeurs, avec ma pleine identité et la pleine conscience de mes droits. Je continuerai à défendre l’égalité, comme les anciens et les prochains. Je prônerai la fraternité pour que nos concitoyens ne s’engagent pas, à tort, dans une haine à notre encontre, et je me lèverai pour la liberté. La liberté pour Charlie d’écrire et d’exprimer, mais aussi pour nous, musulmans, de penser et pratiquer, en marge de ceux qui utilisent notre religion à des fins sanguinaires et insensées.
Je suis Khamsa, effrayée par des lendemains noirs. Mais je suis aussi Charlie tombé sous les balles à cause de mes coups de crayons. Je suis Ahmed, mort pour avoir voulu défendre Charlie. Je suis Rokhaya, en larmes et outrée que l’on m’intime de me désolidariser de crimes et idéaux inhumains. Je suis le World Trade Center, réduit à néant par des fanatiques. Je suis Birmane, condamnée à mort car musulmane. Je suis Syrienne, frappée car mon voile ne couvre pas assez mon visage.
Je suis l’islam, pour lequel on tue alors que je prône l’amour et la miséricorde. Je suis Mohamed, ma religion signifie “paix”, mes croyants sont ceux dont on n’a à craindre ni les paroles ni les actes, mes fidèles s’entraident dans les bonnes oeuvres et l’enseignement de l’amour, et je leur ai enseigné que : “Quiconque tue une personne sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes. Et quiconque lui fait don de la vie, c’est comme s’il faisait don de la vie à tous les hommes”. (S.5, V.32).

Mathilde le 8 janvier à 1h11 : “Un dessin de plus, en soutien à Charlie Hebdo” (Crédits image : Mathilde)
- Anissa, le 8 janvier à 19h58
Bonjour, je m’appelle Anissa, je suis étudiante en 4ème année de pharmacie. Après la tuerie de Charlie Hebdo j’ai passé une partie de la nuit à réfléchir à pleurer, et à… écrire. Je suis française, mes parents sont maghrébins et je ne suis pas musulmane. Ce qui m’offre à la fois un point de vu externe et interne sur la situation actuelle. J’ai grandi dans ce paradoxe en entendant souvent : “Je n’aime pas les arabes mais toi t’es différente”, “Je ne suis pas raciste, la preuve on est amis”.
On m’a déjà interpellé dans la rue en me hurlant dessus : “Retourne dans ton pays sale arabe.”. Mon pays? Je ne connais que la France, je ne parle pas l’arabe et les quelques fois où j’ai été au Maroc j’étais vue comme une touriste.
Il est difficile d’expliquer pourquoi je suis à la fois aux antipodes d’un courant de pensée mais tout de même rattachée à celui-ci. Je ne généralise pas certains comportements mais ce sont les minorités choquantes qui marquent les esprits et menacent l’équilibre.

Adrien Weber le 7 janvier à 22h35 (Crédits image : Adrien Weber)
Et si chacun se mettaient dans la peau de l’autre ? Si au lieu de blâmer ceux qui sont différents les gens essayaient de se serrer les coudes et d’avoir une France unie et forte.
Notre vie est si courte et imprévue, la seule chose qui mérite un combat c’est l’amour
De ma simple place mitigée je suis écœurée par les comportements des deux partis. Donc je n’ose même pas imaginer si je faisais partie d’un extrême ou de l’autre.
- Je suis tout ce qu’il y a de plus française, athée, tolérante, issue d’une famille respectable et pourtant je subis le racisme régulièrement.
- Je suis d’origine maghrébine moi aussi pourtant je ressens clairement l’hostilité du regroupement sous la religion des français d’origine étrangère et la peur que cela procure.
C’est un cercle sans fin, puis les gens se regrouperont dans un extrême, plus la peur de l’autre grandira, plus chacun exagérera son comportement, et puis cela empirera la situation.
Notre vie est si courte et imprévue, la seule chose qui mérite un combat c’est l’amour.
Quelles que soient nos origines, nos prédécesseurs se sont battus pour la paix. C’est notre héritage commun, préservons le.

Tommasino Bigagli le 7 janvier à 22h16 : “Hommage a toutes les formes de liberté, et en particulier a ceux qui sont mort pour. Je suis Charlie” (Crédits image : Tommasino Bigagli)
- Jonathan Braun, le vendredi 9 janvier à 01h10, en réaction à l’article “Je suis Français de culture musulmane et je suis triste et apeuré“
Je viens de lire ton article et je ne sais pas si tu liras ce message, mais je tenais a t’exprimer mon ressenti.
Je suis étudiant. Je suis Français, d’origine israélienne et de confession juive. Ce qu’il s’est passé à Charlie Hebdo fait peur. Peur car notre liberté, celle qui fait de nous ce que nous sommes, que chacun d’entre nous ait pu faire ses propres choix et devenir celui ou celle qu’il ou elle est.
Combien de fois l’on m’a traité d’assassin, de meurtrier, de voleur, de profiteur, de sale juif.
Mais j’ai aussi peur pour les mêmes raisons que toi, malgré que le hasard nous ait donné des origines et religions différentes. J’ai peur de voir les amalgames de certains, et les paroles idiotes d’autres créer la haine envers ceux qui n’en sont en rien responsables. Je connais cette situation car j’en ai souffert auparavant.
Combien de fois l’on m’a traité d’assassin, de meurtrier, de voleur, de profiteur, de sale juif et lorsque l’on daigne m’expliquer pourquoi l’on m’insulte, me menace ou me crache au visage, la réponse est “tu as vu ce qu’ils font les Israéliens à Gaza”, ou “Hitler aurait dû finir ce qu’il a commencé”. Quand je lis les tweets sur Charlie qui crient à la mort de ta religion, ou qui crient au complot de la mienne, j’ai peur.
Agir avant que l’amalgame ne soit trop grand est important, tu as réussi à toucher de nombreuses personnes avec ton article, tu peux agir au nom de nombreuses personnes, tu peux changer la façon de penser de nombreuses autres.
“C’est par les amalgames et les clichés que sont venues les croix gammées.”
Je suis triste de cette réalité, mais heureux de savoir que chez les musulmans, les chrétiens, les juifs, les athées et tous les autres il y a des personnes qui sauront réfléchir avant de faire des généralités, qui sauront et auront le courage de lever la voix et d’agir, de ne pas laisser faire, de se battre et d’aider l’autre à se relever afin de montrer ensemble à ces barbares qui ont les mains encore pleines de sang, et ces idiots qui entachent les réseaux sociaux avec le même triste liquide que l’avenir et l’humanité ne céderont jamais leurs libertés.
P.S : ton article était superbe, je ne suis pas écrivain mais j’espère avoir réussi à exprimer tout ce que je voulais à travers ce message dont le but est de te montrer mon soutien en espérant que tu continues a en écrire car ils sont un rayon d’espoir dans la peur de l’actualité.

Irwin Piel le 9 janvier à 10h36 : “Voici un dessin en hommage aux dessinateurs de Charlie Hebdo d’un jeune qui veut se lancer dans l’illustration” – Leslie Piel (Crédits image : Irwin Piel)
- Fanny Marello, le 9 janvier à 01h10
En dessinant en cours aujourd’hui, j’ai pensé à l’indifférence. Elle a disparu lorsque tous ces pays se sont levés en mémoire des nôtres ; c’est donc une pensée adressée à tous ces étrangers qui me vient à l’esprit durant ce dessin et ce serait avec fierté que cette illustration ne reste pas française. J’appelle aux graphistes des pays s’étant rassemblés pour Charlie d’unir leur talent [...]. Ainsi rebondissons de ce drame en déployant notre créativité, car l’art dans chacune de ses formes éveille les consciences.
Et si vous faîtes partie des personnes comme moi qui pensent perdre confiance en l’homme de par sa bestialité, regardez cette fresque. L’humanité et tout ce qui fait sa civilisation répondra toujours présente, elle se montre quand les agresseurs fuient et ne répondent plus de leur actes, choisissant de se terrer. Mais nous, ensemble, nous ne nous tairons plus jamais.
- Aloÿse Mendoza, le 9 janvier à 15h03

“Y’a plus qu’à” (Crédits image : Aloÿse Mendoza)
- Benjamin Mohammadi, le 9 janvier à 16h29, en réaction à l’article “Je suis Français de culture musulmane et je suis triste et apeuré“
Je m’appelle Benjamin Mohammadi, je suis en Terminale ES dans un lycée moyen de la capitale, et j’ai été très touché par votre article…
Je suis issu d’une famille de réfugiés politiques venus d’Iran et c’est à ma grande déception que ce jeudi 8 janvier j’ai appris le décès de mon oncle. Il était un symbole de la révolution Iranienne et s’est éteint un jour après le massacre qu’il y a eu à Charlie Hebdo… Il était également artiste peintre et sculpteur à ses heures perdues, dans ses oeuvres il tentait de représenter la liberté d’expression, l’humanité, la société de consommation, etc… Toute sa vie il s’est battu pour la liberté d’expression et en a subi les conséquences : il a reçu de nombreuses menaces de morts de la part du régime iranien ce qui l’a empêché de revoir sa famille restée au pays mais également d’être enterré dans son pays d’origine.
Je ne viens pas vous faire ici l’éloge de mon oncle ou quoi que ce soit mais je penses juste que son décès apparait comme un signe étant donné de ce qu’il se passe actuellement en France… [...] Et des mosquées ont étés attaquées et il est important de montrer à travers d’autres articles comme le votre qu’un tas de Français musulmans sont solidaires à la cause et que nous sommes TOUS des Charlie.
La rédaction de Konbini
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