Designer, musicien, artiste & producteur, Pharrel Williams cumule les casquettes et les récompenses. Le producteur, star des derniers Grammy Awards, s’exprime sur l’absurdité des machines à tubes, sur son nouvel album G I R L et sur ce que l’industrie du disque n’a jamais compris. En collaboration avec The Red Bulletin.
L’homme au grand chapeau est aussi cool qu’on l’imaginait. Âgé de 40 ans, Pharrell Williams en a passé 23 à ciseler ce son si particulier qui électrise les soirées du monde entier, des boomers des block-parties aux woofers des gros cubes. Il continue de traverser son époque avec bonhomie et talent : des tubes planétaires de 2013 – “Get Lucky” avec Daft Punk, “Blurred Lines”, et “Happy” - à sa créativité toujours renouvelée, Pharrell est une des figures les plus signifiantes mais aussi des plus discutées de son époque. Et puis, il y a ce chapeau improbable, une immense farce multi-twittée au point de devenir un mème, presque un coup monté.
Mais en réalité, Pharrell Williams l’assure : il ne suit aucun plan de carrière. Derrière ces facéties, il n’y a rien d’autre que la douce folie créative d’un grand artiste témoin de son époque. C’est exactement ce qui ressort de G I R L, le nouvel opus qu’il vient de jeter dans les bacs, et qui devrait encore prolonger l’atmosphère super-funky-sexy qui a mis 2013 en transe.
“Si vous devenez accro au succès, vous êtes foutu”

Crédit photo : Finlay Mackay, The Red Bulletin
Red Bull | Que remarquez-vous en premier quand un artiste entre dans votre studio ?
Pharrell Williams | Trois choses. D’abord sa manière de marcher, qui révèle ce qu’il est venu chercher ici. Ensuite, j’essaie de percevoir une énergie. Je sais très vite s’il a pris le taxi pour venir discuter à la cool, s’il est là pour s’embrouiller avec moi, ou s’il est obsédé par autre chose, qu’il a un truc à dire. Et, troisièmement, j’écoute le son, l’intonation de sa voix.
J’essaie de voir si ces éléments s’assemblent, si l’alignement est bon. Si c’est le cas, c’est qu’il y a un truc à faire et c’est à moi d’arriver à le travailler. C’est comme si on te disait qu’on ne peut pas associer le chocolat et le beurre de cacahuètes mais que, toi, tu répondes : ”Si, on peut le faire : ça s’appelle des Reese’s Cup (une marque de gâteaux aux États-Unis, ndlr) !” Et ça, c’est de la magie !
R.B | Êtes-vous inquiet quand cette alchimie ne fonctionne pas, ou quand un album ne marche pas ?
Si tout ce qui compte pour toi, c’est d’être en tête des charts, alors tu dois tout de suite changer de business. Notre métier est basé sur de l’émotion, et cette émotion ne se quantifie pas, ne se calcule pas. Quand j’étais plus jeune, je percevais les choses différemment, parce que je voyais beaucoup de gens regarder leur bonheur à travers le prisme de leur réussite.
Bien sûr, personne n’a envie de travailler dur sans reconnaissance, on veut tous être apprécié pour ce que l’on fait. Mais la frontière est très mince entre le fait de voir son travail apprécié, et le fait de ne jurer que par ça. Si vous devenez accro au succès, vous êtes foutu.
R.B | Certains producteurs prétendent pouvoir faire des hits sur commande. Vous aussi ?
Non. La musique ce n’est pas une loterie où tu espères que ton numéro va toucher le gros lot. Ce genre de raisonnement n’est pas fait pour moi, j’aime la diversité, je n’aime pas les recettes ni les choses toutes prêtes. Vous imaginez un monde où il y aurait juste trois types de meubles et où tout le monde compose avec cette uniformité ? Ce qui est drôle, en fait, c’est que la musique est peut-être le seul univers dans lequel certains vivent encore avec l’illusion qu’il existe une recette magique pour réussir. C’est tellement simpliste…

Crédit photo : Finlay Mackay, The Red Bulletin
R.B | C’est aussi valable pour le cinéma hollywoodien ?
Les films ont l’avantage d’utiliser la vue et l’ouïe, alors que la musique n’utilise qu’un seul de ces éléments, l’ouïe. Et si l’industrie du disque est en plein marasme, c’est aussi parce qu’elle n’a jamais compris qu’il n’y a pas que le son qui compte, que ce modèle change, et a même déjà changé. Tout le monde se rend compte que les kids veulent aussi de l’image, des idées, des propositions que la musique ne contient pas. Et c’est exactement pour ça que YouTube fait plus d’audience que n’importe quelle radio !
R.B | C’est quelque chose que vous avez mis du temps à comprendre ?
Disons que c’est un apprentissage, une vraie leçon, et c’est d’ailleurs comme ça qu’est née la chanson “Happy”. J’ai cru à neuf reprises que je l’avais, cette chanson, mais je ne l’avais pas, il manquait quelque chose. Il m’a fallu 9 versions différentes avant d’arriver à ce résultat, et à la mise en scène qui va avec.
“Le succès vient du public, il ne faut jamais perdre ça de vue”
R.B | Mais vous avez quand même construit votre carrière sur un savoir-faire et quelques certitudes ?
Non, j’ai construit ma carrière sur ma passion pour la musique, même si j’ai été parfois berné par des événements extérieurs qui me faisaient croire que le résultat final, et donc le succès, venaient de moi. Quand ta chanson devient un hit, ce n’est pas grâce à toi. La musique, la production, ça, ça vient de toi. Mais le succès vient du public. Il ne faut jamais perdre ça de vue.
R.B | Qu’avez-vous voulu mettre dans ce nouvel album ?
J’ai voulu y mettre ce que je suis, mes émotions et mes réflexions, quelque chose de très personnel, d’unique. On masque souvent nos émotions, alors que c’est précisément ce qui nous connecte avec notre être profond, qui fait que nous sommes ce que nous sommes, tous différents les uns des autres. Et c’est aussi ce qui nous sépare du monde animal. Parfois, on dédaigne ces sentiments, mais sur cet album, j’ai cherché à capitaliser dessus, à faire quelque chose qui me représente, et ne représente personne d’autre.
R.B | Pour écrire des chansons pour les femmes, que faut-il d’abord comprendre ?
La plupart du temps, on entend des chansons écrites sur les femmes plutôt que ces chansons écrites pour les femmes. C’est comme une sorte de marketing qui s’appuierait sur leurs préoccupations, et sur un paquet d’idées préconçues dictées par des statistiques commerciales sur ce qu’est une “femme”.
Pour moi, il faut faire des choses en pensant réellement à elles – je veux dire, vraiment. Il ne s’agit pas de composer quelque chose sur l’idée qu’on se fait d’elles, mais sur ce qu’elles sont. Et la seule façon de savoir si ça tombe juste, c’est de se baser sur leurs sentiments, sur ce qu’elles vont vous dire, ce qu’elles ressentent.
R.B | Qu’est-ce qui a changé dans votre approche de la musique au cours de votre carrière ?
J’ai toujours « ressenti » la musique, depuis toujours. Mais je n’ai compris que c’était vraiment mon truc que pendant ces 10 dernières années. Avant, je n’y réfléchissais pas, tout simplement. Je ne pensais qu’à voler en jet privé, à conduire des Ferrari, à acheter des bijoux… Mais ça n’a pas de sens : une Ferrari, ça vieillit… ça se décote dès que tu la sors de chez le concessionnaire, et ce n’est plus jamais pareil.
J’aime toujours les voitures bien sûr, j’adore ça, mais ce n’est pas ça qui compte, on ne t’enterrera pas avec. L’essentiel, c’est ce que tu gardes avec toi, c’est-à-dire tes pensées intimes, tes émotions, et tout ce que tu as traversé, l’expérience qui te nourrit, qui fait que tu es ce que tu es.
Retrouvez toute l’interview et la carte blanche inédite de Pharrell Williams dans le prochain numéro de The Red Bulletin dès le 12 mars :
- en version papier le 12 mars en supplément gratuit du journal L’Equipe
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Auteur : Andreas Tzortzis, The Red Bulletin
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